Interview Jean-Claude Petit
12/11/2013 à 00h11Quel a été votre parcours avant de travailler pour le cinema ?
Jean-Claude Petit : J’ai fait des études classiques au Conservatoire National Supérieur de Musique à Paris. Puis le jazz m’a happé. J’ai été pianiste de jazz avant de rencontrer les variétés. J’ai été arrangeur de Claude François, Julien Clerc, Serge Lama, Alain Souchon… Puis j’en ai eu assez dans les années 80 d’être prisonnier des chanteurs. J’ai donc eu envie de faire de la musique de film. Avec le film on est également un peu prisonnier des réalisateurs, mais on existe pleinement. Je me suis lancé grâce à Michel Berger et France Gall et grâce à René Cleitman qui était programmateur à Europe 1 puis producteur de cinéma. Mon premier film était « Vive la sociale » (de Gérard Mordillat, 1983 – Prix Jean Vigo). Ce fut le début d’une longue collaboration avec Gérard. Le cinéma me permettait de décliner mon savoir acquis au conservatoire en le mettant en pratique avec l’orchestre symphonique. Je suis aussi chef d’orchestre. Le cinéma me permettait d’enregistrer avec les plus grands orchestres du monde, le London Symphony Orchestra ou les japonais, en passant par les français comme l’Orchestre National de Paris. Je viens d’ailleurs de finir un opéra pour l’Opéra de Marseille qui sera joué au mois de mars 2014. Le cinéma a ouvert mon univers.
Provenant du jazz et de la musique savante, comment vous êtes-vous acclimaté avec les contraintes du cinéma ?
J-C P. : Quand j’étais arrangeur dans les variétés, il y avait déjà beaucoup de contraintes. Une chanson dure trois minutes. Et puis les arrangements de Claude François n’étaient pas les mêmes que ceux de Juliens Clerc. J’étais donc habitué à habiller les chanteurs. Car finalement le rôle d’un compositeur de musique de film, c’est d’habiller les images, et l’histoire. C’est un peu le même métier, mais en étant plus libre puisque je choisis avec le réalisateur où l’on met de la musique et pour combien de temps. Le choix d’une musique pour un film vient quand même beaucoup du compositeur. C’est ma sensibilité que je mixe avec celle du réalisateur. Je dis toujours aux réalisateurs que je vais raconter une histoire avec ma musique. Cela peut créer des conflits, mais tout se passe dans le dialogue, et le résultat est un enrichissement !
A propos de la liberté, vous est-il arrivé d’avoir une carte blanche totale sur un film ?
J-C P. : La carte blanche, c’est quand un réalisateur me dit : « je ne connais rien à la musique, mettez ce que vous voulez ». C’est quand même rare. Et ce n’est pas préférable. J’aime quand le réalisateur a une idée de ce qu’il souhaite. Claude Berri ne venait que trois minutes aux séances d’enregistrement. Il faisait confiance mais il indiquait tout de même des références. Sur « Jean de Florette » (1986), il avait l’idée de partir d’un air d’opéra connu. C’est ainsi que j’ai repris « La force du destin » de Verdi avec un harmonica. Ma réputation à l’époque était mon travail d’arrangeur. Je n’étais pas encore reconnu en tant que compositeur de musique de film. Alors pour Claude, j’étais l’arrangeur qui pouvait adapter un thème de Verdi. Ennio Morricone disait que le travail du compositeur était essentiellement dans le développement. Je suis un développeur.
Que pensez-vous de la culture musicale des réalisateurs français ?
J-C P. : Les réalisateurs français sont surtout des littéraires. Ce sont les dialogues qui les intéressent avant tout, l’image éventuellement, la musique en dernier ressort. Certains se demandent même à quoi peut-elle bien servir. Alors que le cinema est un art total, tous les arts y sont réunis, la musique a un rôle important à jouer.
Claude Berri, par exemple, me disait qu’il ne connaissait rien à la musique. Il s’endormait même en salle de mixage. Mais il avait quand même une idée de ce qu’il voulait. D’autres réalisateurs sont extrêmement précis, comme Jean-Paul Rappeneau (« Cyrano de Bergerac », 1990) qui venait tous les dimanches chez moi. Je lui jouais mes idées sur le piano. Je lui indiquais mes choix scène par scène.
Que pensez-vous du temp track (ces musiques temporaires placées au montage) ?
J-C P. : Il m’est arrivé d’en avoir sur une séquence de « Cyrano de Bergerac ». J’essaie dans ces cas-là d’être malin. C’est un piège terrible, mais je comprendrais cette démarche si j’étais réalisateur. J’aime les musiques « live » qui me permettent de composer avant le tournage et de venir sur le plateau. C’était le cas pour « Cyrano » avec l’immense scène dans le théâtre, et dans « Jean de Florette » avec le mariage de Manon. J’étais sur les tournages avec les comédiens. C’est mieux que d’intervenir à la toute fin et de devoir écrire une musique en deux semaines.
Quelle évolution dans votre métier avez-vous pu remarquer ?
J-C P. : La seule évolution que je remarque, ce sont les maquettes. Aujourd’hui, tous les compositeurs en font avec l’ordinateur. Le drame est que le réalisateur s’y habitue et que bien souvent il trouve moins bien quand c’est enregistré en séance d’orchestre. Il y a aussi l’accumulation des concours entre compositeurs. Je les refuse.
Que pensez-vous de la rareté des mélodies au cinéma aujourd’hui ?
J-C P. : J’ai un grand attachement pour les thèmes donc cela me peine. D’ailleurs, j’aime quand le thème est présent au générique de début, pour mettre le spectateur dans une ambiance musicale dés l’ouverture du film, puis on le développe jusqu’à la fin. Il devient alors indissociable du film. Cette alchimie se fait rare de nos jours en effet. Aujourd’hui, on ne fait plus de musiques de film mais de l’illustration sonore. Les musiques peuvent être belles, mais c’est un patchwork. Il n’y a pas une œuvre. Les réalisateurs aiment cela car ils n’ont pas conscience que faire une musique de film c’est raconter une histoire.
Que pensez-vous du système américain ?
J-C P. : Je suis allé à Los-Angeles où j’avais des contrats. Mon agent me disait qu’il fallait que j’ai des orchestrateurs, mon avocat, ma monteuse, …etc. Je ne pouvais pas donner à faire à quelqu’un ce que j’avais à faire. Cela me dépasse complètement. Les musiques américaines sont très bien, c’est toujours professionnel, mais ce sont les mêmes équipes d’orchestrateurs quelque-soit les compositeurs. Cela donne au final un même style musical.
Pensez-vous avoir fait exister votre style propre au sein des films ?
J-C P. : Les films sont différents les uns des autres. Ma musique aussi. J’ai envie d’écrire une œuvre qui ait son propre style pour chaque film, avec un seul grand thème que je décline. Je ne suis d’ailleurs pas un compositeur de musique de film. Je suis d’abord un musicien, et puis un compositeur qui a composé pour le jazz, le rock et la chanson. J’aime rencontrer des personnalités différentes.
Vous êtes président de la SACEM. Quelles sont les principaux enjeux aujourd’hui pour cette société des auteurs ?
J-C P. : Je suis en effet le président, élu pour trois ans par le Conseil d’Administration. J’y consacre beaucoup de temps, ce qui m’oblige à freiner les musiques de films. Mais ce rythme me convient car je n’aime pas travailler à la chaîne les musiques de film, comme j’ai pu le faire dans les années 2000. J’étais débordé, ce qui m’a fait rater quelques musiques, d’autant que je ne veux pas prendre de nègre pour me faciliter la tache. Pour revenir à la SACEM, le droit d’auteur est en danger car il est attaqué par les grandes puissances d’Internet qui voudraient les diminuer, les supprimer ou se les approprier. Notre société est notre liberté. La plus grande partie de notre rétribution est le droit d’auteur, ce qui nous laisse libre. Il y a un rapport de force avec les producteurs. On n’attend pas son chèque. En plus on dirige cette société nous-même. Notre mission est un devoir de préserver un héritage, tout en s’adaptant aux nouveautés. Le droit d’auteur s’est acclimaté à l’apparition du disque, à l’apparition de la radio, de la télévision, du cinéma, maintenant il y a Internet. Aujourd’hui, on touche beaucoup de droits d’auteur de la télévision, mais au début ce n’était pas si facile. Avec Internet, ce sera pareil. Tout finira par se réguler, si on agit dans ce sens.
Pour finir, l’UCMF qui fête ses 10 ans organise un concert en janvier lors duquel vous allez jouer une de vos musiques de films. Un mot sur l’association ?
J-C P. : J’ai le souvenir de ses différents présidents et j’ai toujours soutenu l’association. C’est une organisation qui marche bien, elle dure, il y a aussi des jeunes, et des femmes. L’UCMF essaie de faire du lobbying pour améliorer les conditions de travail des compositeurs, c’est important ! Quant au concert, je vais faire une de mes suites symphoniques, sûrement le final de « Cyrano de Bergerac ». Je suis habitué au Grand Rex car j’y suis déjà allé. Je dis bravo pour cette initiative !
Propos recueillis par Benoit Basirico en octobre 2013